PIERRE DEVIN

Valenciennes, France, 1946.

Lecture de GIONO

Homme du nord, voilà un demi-siècle que je fréquente la Provence. Attirance sans doute motivée par cette nostalgie du sud et de sa lumière, die Sehnsucht nach Süden pour Goethe. Les gens du plat pays sont attirés par les collines, les montagnes. D’autant que le relief a généré au cours de l’histoire des structurations humaines et sociales spécifiques qui a leur tour ont façonné le paysage.

C’est en vivant la Provence que je me suis intéressé à l’œuvre de Giono. A l’époque de mes études de littérature, il était encore absent des programmes de l’université. Il sentait encore le soufre. Malgré son succès international, l’écrivain fut emprisonné en 1939 pour antimilitarisme. Il fut à nouveau incarcéré en 1944 pour collaboration avec l’ennemi. Il fut ensuite interdit d’édition. Le motif s’est révélé infondé. Néanmoins Giono trainait une réputation d’écrivain régionaliste, vecteur d’une idéologie régressive et réactionnaire de retour à la terre. Une lecture sans a priori s’impose. Giono n’est pas Pagnol. La richesse de son univers, de son écriture, son interrogation sur l’espèce humaine, sa dramaturgie de la lumière sont aux antipodes des clichés répandus sur la Provence. L’hiver est très présent dans l’œuvre. La lumière solaire intense est prémonitoire de la tragédie. La portée de ce questionnement a nourri, il y a une vingtaine d’années, ma démarche photographique. Cette approche a été facilitée par le fait que très tôt Giono s’est intéressé au cinéma dans une perspective d’adaptation de ses œuvres. Avec ce souci de correspondance entre écriture et image, il a publié Les vraies richesses* accompagné d’un long essai photographique.

Ma campagne de prise de vue m’a amené à considérer les pays qui ont habité l’écrivain : la Provence, les Alpes, Marseille, l’Italie, les Flandres où il fut blessé pendant la première guerre mondiale, l’Ecosse qu’il découvre tardivement. Mon parcours n’a rien d’une archéologie ou d’un documentaire sur les pas de l’écrivain. Mon choix du moyen format à la prise de vue n’est pas motivé par le souci de produire de grandes images spectaculaires. La dimension modeste des tirages sur papier argentique incite le regardeur à la proximité : une distance équivalente à celle du lecteur à son livre, une proximité indispensable à la perception de la matière photographique dans toute sa profondeur.

Cet essai de correspondances est avant tout un hommage à ce vice impuni qu’est la lecture. Il s’agit pour moi de la curiosité pour la complexité d’une œuvre, des voies sensibles et intelligibles qui donnent accès à un autre univers et au bout du compte un élargissement des perspectives au delà des apparences.

Pierre Devin

Taulignan, mai 2016

*Les vraies richesses illustré de 112 photographies par Kardas, Grasset 1936

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